RAPPORT EXPLICATIF
adopté par l'Assemblée Générale de Luxembourg le 8 septembre 1967
La présente Convention a pour but de résoudre, dans la mesure du possible, les difficultés qui résultent de la non-reconnaissance des décisions concernant le lien conjugal, notamment des décisions de divorce, en dehors du pays où ces décisions ont été rendues.
Article 1er
Cet article détermine en premier lieu le champ d'application de la Convention. Le cadre de celle-ci a été fixé aussi largement que possible.
La question a été discutée de savoir si la Convention devait ou non s'appliquer aux décisions relatives à la nullité du mariage. La solution affirmative a prévalu, en raison notamment de l'existence d'États dont le droit interne, plus strict à l'égard de la dissolution du lien conjugal, est plus libéral quant à l'annulation, et du fait que certaines législations, telle la législation allemande, connaissent une annulation sans effet rétroactif (Aufhebung).
On notera que l'article 17 réserve à chaque État contractant la possibilité de restreindre le domaine de la Convention par une déclaration unilatérale.
La Convention s'applique aux décisions émanant tant d'autorités judiciaires que d'autorités administratives. En effet, de l'avis de la Commission, l'article 6, paragraphe 1er de la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui emploie le terme "tribunal" ne s'oppose pas à la reconnaissance des décisions à caractère juridictionnel rendues par des autorités administratives.
L'expression "relatives à" englobe les décisions faisant droit aux demandes et celles les rejetant.
La Convention s'applique à toutes les décisions concernant le lien conjugal, quelle que soit la nationalité des parties en cause. Pour que la Convention soit applicable, il n'est donc nullement besoin que les parties, ou l'une d'elles, soient ressortissantes d'un État contractant.
Aux termes de la Convention, une décision rendue dans un État contractant et qui réunit les conditions prévues à l'article 1er est reconnue dans les autres États contractants avec la même autorité que dans celui où elle a été rendue. Cette disposition n'implique cependant pas qu'une décision qui a force exécutoire dans l'État où elle a été rendue, l'ait également dans l'État où elle est invoquée. En effet, en vertu de l'article 7, la reconnaissance ne s'attache qu'aux dispositions principales de la décision relative au lien conjugal lui-même, à l'exclusion des dispositions accessoires ou provisoires relatives, par exemple, à des questions de nature patrimoniale. Or, par définition, ces dispositions principales concernant le lien conjugal ne donnent pas lieu à exécution. Un doute pourrait éventuellement exister en ce qui concerne l'inscription de la décision sur les registres de l'état civil, notamment dans les États où pareille inscription est considérée comme une mesure d'exécution.
Pour éviter toute contestation à cet égard, cette question est expressément réglée à l'article 8.
Les conditions que doit réunir une décision, pour bénéficier de la reconnaissance, énoncées aux chiffres 1, 2 et 3 de l'article 1er, sont cumulatives. Selon la conception large de l'ordre public, qui prévaut dans certains États, on pourrait penser que les trois conditions se ramènent à une seule, celle de l'ordre public. Mais il a semblé préférable de préciser les trois conditions, notamment en vue de limiter les cas de refus de reconnaissance.
Chiffre 1er
Au sens de cette disposition, il faut entendre par "décisions reconnues" les décisions ayant fait l'objet d'une reconnaissance expresse émanant de l'autorité visée à l'article 6. Ne présente pas ce caractère une reconnaissance implicite ou provisoire, accordée par exemple par une autorité compétente en matière fiscale ou successorale, ou même par un officier de l'état civil. Le texte ne prévoit pas que la décision doit concerner les mêmes parties ou porter sur le même objet. Deux décisions peuvent en effet être incompatibles, bien qu'elles ne concernent pas les mêmes parties ou n'aient pas le même objet
Chiffre 2
La Convention permet de refuser la reconnaissance, lorsque l'une des parties même assignée régulièrement, n'a manifestement pas eu en fait la possibilité de faire valoir ses moyens.
Chiffre 3
Afin d'éviter que l'ordre public ne soit invoqué abusivement ou d'une manière trop extensive, la Convention souligne que la reconnaissance ne doit être refusée que si la décision est manifestement contraire à l'ordre public du pays où elle est invoquée.
Article 2
Cet article pose le principe selon lequel toutes les juridictions des États contractants sont considérées comme compétentes. Connaissant leurs législations respectives, les États membres de la CIEC se font mutuellement confiance et peuvent donc renoncer à une casuistique des critères de compétence et aux complications que pareil système entraîne. Une seule exception a été apportée à ce principe, dans le cas où les deux époux sont ressortissants de l'État où la décision est invoquée. Il a paru normal, dans une telle hypothèse, que l'État requis puisse refuser la reconnaissance lorsque ses règles de compétence n'ont pas été respectées. Il résulte de la rédaction du dernier membre de phrase de l'article à l'indicatif présent que la qualité de ressortissant doit être appréciée au moment où la décision est invoquée.
On notera que le texte ne se prononce pas sur le problème de la double nationalité ; en ce cas le texte proposé permet à l'État où la décision est invoquée de faire prévaloir sa propre nationalité, mais ne l'y oblige pas.
Article 3
Dans certains pays, une décision étrangère n'est pas reconnue, parfois au nom de l'ordre public, parce qu'elle a fait application d'un autre droit que celui qui était applicable d'après les règles de conflit du pays où cette décision est invoquée. L'article 3 limite ces cas de refus de reconnaissance.
Dans la rédaction du chiffre 1, une attention particulière a été portée au cas des décisions de rejet. On a cherché notamment à éviter qu'un ressortissant d'un pays contractant soit privé de la possibilité d'intenter une demande en divorce dans son pays d'origine, lorsqu'une demande de sa part a été rejetée dans un autre pays contractant, pour des motifs de fond ou de forme.
A la différence de l'article 2, l'article 3, chiffre 1 est rédigé au passé. En effet, il s'agit ici de contrôler le choix de la loi applicable fait au cours d'un procès antérieur. Par exemple, en cas de nullité de mariage, la qualité de ressortissant doit être appréciée au moment de la célébration dudit mariage.
Le chiffre 2, qui reprend une disposition utilisée dans de nombreuses conventions internationales, n'appelle pas de commentaire particulier.
Article 4
Cette disposition vise le cas, sans doute assez rare, mais non point inconcevable, où deux décisions étrangères sont simultanément invoquées en vue de leur reconnaissance.
L'hypothèse est différente de celle visée à l'article 1er, chiffre 1 : si, par exemple, dans un État contractant, on a reconnu une décision étrangère plus récente dans l'ignorance d'une décision étrangère antérieure sur le même objet, ce n'est pas l'article 4 mais l'article 1er, chiffre 1 qui sera appliqué.
De même que l'article 1er, cet article ne concerne que les reconnaissances expresses émanant de l'autorité vissée à l'article 6.
Article 5
Conformément an but de la Convention, qui est de faciliter la reconnaissance, cet article exclut toute révision au fond de la décision étrangère. Le juge requis devra uniquement vérifier si les conditions prévues par la Convention sont remplies.
Article 6
Cette disposition est relative à la désignation dans les États contractants de l'autorité chargée de contrôler le respect de la convention par la décision invoquée.
Cet article doit être interprété en liaison avec l'article 13. Il en résulte que les États - tels la France et les Pays-Bas - qui admettent que les décisions étrangères relatives à l'état des personnes peuvent, à titre provisoire, produire effet sur leur territoire sans décision expresse préalable, ne seront pas obligés de changer leur système ; ainsi, dans ces États, l'officier de l'état civil pourra remarier les personnes divorcées à l'étranger ou même mentionner la décision étrangère sur les registres de l'état civil sans décision préalable de reconnaissance
Mais cette prise en considération de la décision étrangère ne constitue pas une "reconnaissance" au sens de la présente Convention. Cette reconnaissance expresse ne pourra résulter que d'une décision rendue par l'autorité désignée à l'article 6. C'est seulement à la suite d'une telle décision que le jugement étranger ne pourra plus être remis en cause (art. 7, 2e alinéa).
Article 7
Les dispositions relatives aux torts des parties ou à leur bonne foi sont étroitement liées à la décision elle-même, ce qui explique que l'article 7, alinéa 1er, in fine, les soumette au même régime. A cet égard, le mot "dispositions" doit s'entendre non seulement du dispositif proprement dit de la décision, mais encore de ceux de ses motifs qui, par suite du silence du dispositif, ont un caractère décisoire. La notion de garde des enfants n'est pas la même dans la législation de tous les États contractants. Dans son acception la plus restrictive, cette expression désigne à tout le moins le gouvernement de la personne de l'enfant.
Article 8
Cet article ne doit pas être interprété "a contrario" : ainsi, dans les États où les décisions étrangères sont portées sur les registres de l'état civil sans reconnaissance expresse préalable, cette pratique pourra être maintenue.
Article 9
Le texte tranche un problème important qui a souvent donné lieu à des difficultés. Il pose le principe logique selon lequel la reconnaissance d'une décision prononçant la dissolution ou l'annulation du mariage, a pour conséquence que les deux intéressés seront considérés, du point de vue d'un éventuel remariage, comme non mariés.
Selon l'article 9, la Belgique sera, par exemple, tenue de permettre le mariage d'Espagnols divorcés aux Pays-Bas, quand bien même la loi nationale ne le permet pas
En raison du lien étroit existant entre la reconnaissance d'un divorce et la capacité matrimoniale, il n'a pas paru possible de les séparer. Dès lors qu'un État reconnaît le divorce de deux époux, même si le statut personnel de l'un d'eux ignore le divorce, il est normal qu'il tire les conséquences logiques de cette attitude et permette le mariage des personnes ainsi divorcées.
Il convient d'observer que le texte de l'article 9 n'impose une obligation qu'à l'État de la reconnaissance, et non point à l'État où la décision de dissolution ou d'annulation du mariage a été rendue, si souhaitable et si logique qu'il puisse paraître de prévoir cette dernière obligation. Bien que l'article 9 ne mentionne pas expressément l'inexistence d'un mariage, il englobe également cette hypothèse. On notera aussi que, selon l'article 18, chiffre 2, un État peut se réserver le droit de restreindre la portée de l'article 9 en ce qui le concerne.
Quant à la Convention de La Haye de 1902 pour régler les conflits de lois en matière de mariage, elle continuera à lier ses signataires, au moins à l'égard des autres États signataires qui n'auraient pas adhéré à la Convention CIEC.
Article 10
Cet article a trait à la litispendance et prévoit que l'autorité saisie en second lieu d'une demande identique à celle déjà introduite devant une autre autorité s'abstiendra, tout au moins provisoirement, de statuer au fond.
Les termes "même d'office" signifient que si aucune des parties ne soulève l'exception de litispendance, le juge doit alors d'office s'abstenir de statuer ou surseoir à statuer : il appartiendra, le cas échéant, à la loi du pays requis de préciser la procédure à suivre. Le second alinéa de l'article 10 prévoit implicitement deux éventualités. D'une part, si à l'expiration du délai d'un an l'autorité antérieurement saisie n'a pas encore statué, la procédure peut être reprise par l'autorité qui a été ultérieurement saisie ; mais, d'autre part, cette dernière autorité doit également s'abstenir de statuer, bien que la procédure ait été reprise si, avant qu'elle ait rendu sa décision, l'autorité antérieurement saisie vient entre-temps à rendre la sienne.
Article 11
L'idée de l'assimilation des réfugiés et apatrides aux ressortissants de l'État, qui est exprimée dans cet article, se trouve dans d'autres accords internationaux.
La formule employée reprend celle de la Convention tendant à faciliter la célébration des mariages à l'étranger, signée à Paris le 10 septembre 1964.
Article 12
Cet article n'appelle pas de commentaire.
Article 13
Voir les explications données à propos de l'article 6.
Articles 14 et 15
Ces articles n'appellent pas de commentaire.
Article 16
Cet article permet aux États contractants d'appliquer, à l'exequatur des dispositions accessoires du jugement (garde des enfants, pension alimentaire, dommages-intérêts), les règles posées par la Convention en ce qui concerne la reconnaissance.
La question a été posée de savoir s'il convenait de prévoir dans la Convention la faculté pour un État de revenir sur sa décision d'extension par une déclaration de retrait. On a invoqué en faveur d'une telle disposition le fait qu'elle serait susceptible d'encourager les déclarations d'extension. La Commission a estimé qu'il était superflu d'insérer une telle disposition, un État pouvant toujours, en faisant la déclaration prévue à l'article 16, se réserver de la retirer unilatéralement par une décision contraire.
Articles 17 à 21
Ces articles n'appellent pas de commentaire.